Derrière les chiffres, des vies : quelle politique pour soigner les malades de longue durée ? 

Une carte blanche d’Elise Derroitte, vice-présidente de la Mutualité chrétienne (MC) 

Face à la hausse continue du nombre de malades de longue durée, la tentation est grande de répondre par des mesures budgétaires et des dispositifs de contrôle. Mais derrière chaque chiffre, il y a des parcours de vie, des vulnérabilités, et une aspiration commune à retrouver une place dans la société. Plutôt que de stigmatiser ou de réduire la question à une logique d’efficacité, il est urgent de repenser notre approche : comment bâtir un marché du travail réellement inclusif, où l’accompagnement, la prévention et la reconnaissance de la diversité deviennent les véritables leviers d’une politique humaine et durable ?  

À la lecture des premiers projets relatifs à la prise en charge du nombre croissant de malades de longue durée, je me suis interrogée : s’agissait-il d’une véritable note d’orientation, porteuse d’une vision à long terme, ou simplement d’un document dicté par la nécessité de réaliser des économies ? Tout dépend, sans doute, de la perspective adoptée. ​ 

Un marché du travail qui exclut les plus fragiles 

L’ambition de remettre 100.000 personnes en incapacité de longue durée au travail se heurte à une réalité préoccupante : notre marché du travail valorise la performance, l’efficacité et la jeunesse. Les personnes vulnérables – malades de longue durée, plus de 55 ans, personnes en situation de handicap, femmes atteintes de maladies chroniques, réfugiés – peinent à trouver leur place dans un système qui ne reconnaît pas la diversité des parcours. Sans adaptation profonde, beaucoup risquent de sombrer dans la pauvreté, car les offres d’emploi et les cultures d’entreprises actuelles ne correspondent pas à leurs profils. Se joue là une problématique fondamentale : si on veut que les personnes ayant été en incapacité de travail durant une longue période reprennent le chemin de l’emploi, il faut que les organisations leur offrent une chance, mettent en place les conditions de leur retour, et fassent en sorte de les accueillir. Faute de quoi cette ambition restera un slogan. 

Le piège du contrôle : stigmatiser au lieu d’accompagner 

Par ailleurs, le ton des réformes en cours met fortement l’accent sur le contrôle, avec en arrière-plan la suspicion de fraude. Pourtant, la grande majorité des personnes en incapacité sont réellement malades et aspirent à contribuer à la société. Se focaliser sur un phénomène marginal, c’est rater la cible : ces personnes ont besoin d’accompagnement, pas de stigmatisation. En ce sens, je salue les nouvelles mesures préventives, telles que l’investissement dans l’augmentation du nombre de psychologues de première ligne, afin qu’ils puissent également intervenir en cas de difficultés psychologiques liées au travail. Les médecins-conseils doivent certes remplir leur rôle de contrôle. Ils doivent disposer du temps nécessaire, en collaboration avec une équipe de paramédicaux, pour évaluer les mesures à prendre au cas par cas. 

Le fait que la politique en matière de maladie de longue durée accorde également une attention à l’employeur est aussi un point positif. Un accompagnement de qualité des personnes en incapacité de travail et l’amélioration de leurs chances de retour nécessitent la mobilisation de tous les acteurs, employeurs compris. Nos études montrent que les travailleurs ayant des antécédents médicaux sont souvent victimes de discrimination sur le marché du travail. Cependant, les mesures visant à responsabiliser les employeurs restent trop générales. Il serait préférable de définir des objectifs plus précis, adaptés aux réalités spécifiques des personnes, car certains connaissent un taux d’absentéisme plus élevé que d’autres. Quoi qu’il en soit, la prévention et le soutien doivent primer sur la logique punitive. 

Une ambition à replacer dans une vision globale 

Réintégrer massivement des malades de longue durée ne peut se penser isolément. Cette politique interagit avec d’autres réformes, comme la limitation des allocations de chômage, qui risque d’aggraver la précarité…et de faire grossir les statistiques d’incapacité de travail. Il faut donc interroger les causes structurelles – allongement des carrières, troubles psychiques, manque d’emplois adaptés, discriminations persistantes – et agir sur ces leviers pour éviter que l’activation à tout va ne devienne une machine à produire de la précarité, sans résultat probant en terme de retour vers l’emploi. ​ 

Changer de culture, accompagner, penser global 

Réussir ce défi exige un effort collectif et un changement profond de culture. Les employeurs doivent être mobilisés et responsabilisés, avec des objectifs précis et adaptés. Les politiques publiques doivent passer d’une logique de contrôle à une logique d’accompagnement, valoriser la prévention et reconnaître la diversité des parcours. J’en suis donc convaincue, c’est en osant placer l’humain au cœur de nos politiques, en refusant la stigmatisation et en investissant dans l’accompagnement, que nous construirons une société réellement inclusive, où chaque parcours, quelle que soit sa fragilité, devient une richesse pour l’avenir collectif. ​ Tel est le rôle de la mutualité, mais aussi la responsabilité partagée de l’ensemble des acteurs concernés : seule une mobilisation collective permettra de relever ce défi de société. 

Simon Vandamme

Responsable presse

 

 

 

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